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Enquête sur le devenir des docteur·es du CED


Author: Léo Mignot & Centre Émile Durkheim

Date: November 8, 2024

Encadré de présentation

Cette enquête vise à mieux comprendre le devenir des docteur·es qui ont préparé leur thèse au sein du Centre Émile Durkheim, en éclairant les conditions de réalisation de leur doctorat et leur impact sur les carrières professionnelles. Les données présentées ici reposent sur 91 réponses, pour une population d’environ 130 personnes. La difficulté majeure tient au fait que nos enquêté·es ont soutenu leur thèse entre 2011 et 2023 : leurs carrières ont des durées très différentes, ce qui n’est pas sans conséquence sur le regard qu’elles et ils peuvent porter sur leurs années de formation. L’enquête a été réalisée en trois vagues (2022-2023-2024), gérées successivement par Morgane Dirion, Lucas Ormière et Emma Empociello, sous la supervision de Sophie Duchesne, et avec la contribution de Lola Mora.

Introduction

Le Centre Émile Durkheim est un gros laboratoire généraliste de sciences sociales qui rassemble environ 150 politistes et sociologues (principalement), dont la moitié sont des doctorant·es. Le laboratoire s’intéresse donc particulièrement aux trajectoires de celles et ceux qu’il a contribué à former. L’enquête dont on rend compte ici vise à mettre en lumière la diversité des trajectoires professionnelles de celles et ceux qui ont préparé leur thèse au CED, à la fois pour souligner que la formation doctorale n’est pas qu’une formation pour la recherche – c’est aussi aussi une formation par la recherche dont l’utilité sociale est importante – et pour offrir aux doctorant·es d’aujourd’hui des perspectives plus vastes et, nous l’espérons, moins angoissantes sur leur avenir professionnel.

Profils des répondant·es

Nationalité : 82 % des répondant·es sont de nationalité française, 14 % sont originaires d’un pays hors UE, 4 % proviennent d’un pays de l’UE et 3 % sont binationaux. Si la diversité des profils témoigne de l’ouverture internationale du laboratoire, la part des docteur·es diplômé·es étranger·es reste néanmoins inférieure à la moyenne nationale, estimée à 43 % en 2020.

Origine sociale : 51 % des docteur·es sont issu·es de familles de cadres ou professions intellectuelles supérieures. En comparaison, 11 % viennent de familles d’employés, 11 % d’artisans ou indépendants, 7 % d’ouvriers et 3 % d’agriculteurs exploitants. Cette répartition met en évidence une surreprésentation des milieux socio-professionnels favorisés, similaire aux tendances nationales.

Formation universitaire : Le CED « recrute » principalement parmi les parcours de master de l’Université de Bordeaux (33 %) et de Sciences Po Bordeaux (30 %), contre 26 % provenant d’autres universités en France et 9 % d’universités étrangères (3 % ont suivi un double cursus). Cette diversité relative des parcours universitaires antérieurs reflète la priorité donnée par le laboratoire aux étudiant·es formé·es dans le parcours de master commun ; mais elle manifeste aussi l’attractivité du laboratoire à l’échelle nationale et internationale.

Conditions de réalisation de la thèse

Discipline : Les répondant·es se répartissent de manière équilibrée entre la science politique (53 %) et la sociologie (47 %). La durée moyenne de la thèse est de 4,5 années (pour un âge médian à la soutenance de 29,5 ans), située dans la moyenne en sciences sociales.

Financement : 82 % des répondant·es ont obtenu un financement d’au moins 3 ans consacré à la thèse, qui se décompose ainsi : 56 % ont bénéficié d’un contrat doctoral, 10 % d’une convention CIFRE et 15 % d’un autre type de contrat (financement régional, ANR, etc.). Quoiqu’il en soit, étant donné la durée des thèses, la plupart ont dû se tourner vers d’autres sources de revenus durant tout ou partie du doctorat, ayant recours à des postes d’ATER (23 %), aux allocations chômage (19 %), à l’autofinancement (15 %) ou aux vacations (14 %). 9 % occupent un emploi en dehors de l’université. De nombreux doctorant·es cumulent plusieurs types d’activités, illustrant la précarité qui accompagne souvent la réalisation d’un doctorat en sciences sociales et attestant de l’inadéquation du nombre et de la durée des financements disponibles.

Carrières professionnelles

Focus ESR : Environ 61 % des répondant·es ont tenté de poursuivre une carrière au sein de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) et la moitié (33 %) est parvenue à y obtenir un poste. Parmi celles et ceux ayant tenté leur chance, 83 % ont candidaté à un poste de MCF, contre 21 % aux concours des établissements publics de recherche, dont le CNRS. 73 % ont postulé à un post-doctorat au moins, conformément à ce qu’on sait de la prolongation de la période de précarité postdoctorale dans l’ESR.

Insertion professionnelle : 59 % des répondant·es ont trouvé un emploi dans la fonction publique – dans la recherche (22 %) ou dans d’autres fonctions (37 %). 19 % ont intégré des entreprises privées – en partie grâce aux conventions CIFRE – tandis que 10 % travaillent pour des associations. 5% exercent en libéral et 7 % ont trouvé un emploi dans d’autres secteurs. Le devenir professionnel des docteur·es du CED illustre la diversité des carrières accessibles à l’issue d’un doctorat en sciences sociales. Les répondant·es occupent en effet une variété de métiers, allant de l’enseignement et la recherche à des rôles de chargé·e d’études, de consultant·e en évaluation, de gestionnaire de projet ou encore de chef de service

Satisfaction : 63 % des docteur·es se déclarent très satisfaits de leur situation professionnelle, 27 % moyennement satisfaits, tandis que 5 % ne sont que peu ou pas satisfaits de leur situation. Si les résultats attestent donc d’une large majorité de docteur·es satisfait·es, cette part est variable selon les parcours et les difficultés d’insertion rencontrées. Les docteur·es ayant cherché sans succès à obtenir un poste dans l’ESR sont ainsi plus rarement très satisfait·es du métier qu’ils ou elles exercent au moment de l’enquête (47 %) que celles et ceux ayant décroché un poste universitaire (88 %) ou n’ayant pas souhaité se tourner vers une carrière académique (61 %).

Regards sur l’expérience doctorale

Compétences : 95 % des répondant·es affirment mobiliser les compétences acquises lors de la thèse dans leur emploi actuel, notamment en matière d’analyse et de synthèse, de compétences méthodologiques, de rédaction et de gestion de projets.

Vécu de la thèse : 90 % des docteur·es estiment que leur thèse a été utile, et 94 % la décrivent comme une expérience stimulante. Toutefois, 64 % l’ont trouvée difficile, et 80 % la jugent stressante.

Ces données témoignent d’une tension entre la plus-value perçue de la thèse et la difficulté du parcours doctoral, mettant en lumière la complexité et les exigences de cette expérience. Ainsi, si 63 % des répondant·es affirment qu’elles et ils referaient les mêmes choix, 33 % ne regrettent pas d’avoir fait une thèse mais feraient les choses différemment et 4 % regrettent d’avoir fait une thèse.

Conclusion

Moins d’un tiers des docteur·es formé·es au CED occupe aujourd’hui un poste dans l’ESR. Une grande majorité d’entre elles et eux n’en est pas moins satisfaite de sa trajectoire professionnelle et ne regrette pas d’avoir suivi un parcours doctoral, aussi difficile et stressant que cela ait pu être. Les moins satisfait·es sont ici celles et ceux qui ont tenté une carrière universitaire, mais n’y sont pas parvenu·es.

Si le constat peut sembler trivial, il nous semble pourtant essentiel : au regard de l’état actuel de l’université et des établissements de recherche, les perspectives d’entrée dans l’ESR ont peu de chance de s’améliorer. D’autant plus que les effectifs des étudiants s’inscrivant dans l’enseignement supérieur stagnent voire régressent sensiblement pour les masters. Faut-il que le laboratoire cesse de former autant de docteur.es ? Ce n’est pas notre position, bien au contraire.

L’équipe du CED est très convaincue que la formation doctorale en sciences sociales ne se résume pas, et loin s’en faut, à une préparation à des carrières universitaires. Les compétences développées lors du parcours doctoral sont diverses et peu de formations permettent de les acquérir à un tel degré : autonomie ; capacité de questionnement, d’analyse et d’argumentation complexe ; expertise dans la recherche et la production d’information ; lecture et rédaction efficaces et rapides ; aptitude à tisser et entretenir un réseau ; résilience et capacité d’adaptation ; sans parler des savoirs et méthodes spécifiques au sujet de la thèse. Toutes ces compétences acquises au cours du doctorat peuvent être très utilement mises au service d’autres carrières que celles d’enseignant·e et de chercheur·euse. On peut même faire l’hypothèse que la société française gagnerait à voir augmenter la proportion de ses cadres formée par la thèse, nourrie de culture scientifique et mue par la recherche de questions nouvelles. Cela passe par une pleine reconnaissance de la thèse au-delà du milieu universitaire, mouvement désormais bien amorcé et qu’il convient de renforcer et de promouvoir, notamment en France.

Cette enquête et le réseau d’alumni que nous cherchons à créer s’inscrivent dans cet objectif : donner aux doctorant·es actuel·les une meilleure visibilité sur la diversité des carrières qui s’offrent à elles et eux et faciliter les contacts avec leurs aîné·es. Nous espérons ainsi que nos futur·es docteur·es pourront aborder leur avenir plus en confiance.